Antonin Scalia, juge conservateur à la Cour suprême américaine, nommé à ce poste par le président républicain Ronald Reagan en 1986, est décédé le 13 février 2016. Il y a donc désormais 8 juges à la Cour suprême; le président américain doit nommer un remplaçant au juge décédé, et cette nomination doit être confirmée par le Sénat.
Les Etats-Unis sont dans une année électorale; les élections auront lieu en novembre.
Le président démocrate américain Barack Obama semble vouloir rapidement désigner un successeur au juge décédé, qu’il choisira très probablement de gauche, favorable à l’avortement et à l’interdiction des armes à feu.
Certains républicains estiment que le choix du successeur doit revenir au président qui sera élu en novembre, et appellent le Sénat, à majorité républicaine, à bloquer une éventuelle nomination par Obama. Ces républicains estiment qu’il existe une tradition, une règle non-écrite, selon laquelle, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, un président ne nomme pas de juge à la Cour suprême en dernière année de mandat.
La lecture des articles du Monde consacrés à ce débat montre le parti pris anti-républicains de ce journal.
Dans un article1 du Monde, le journaliste Gilles Paris cite deux candidats à la primaire républicaine, Ted Cruz et Marco Rubio, qui estiment que c’est le prochain président qui devra nommer le remplaçant du juge. « Les deux élus ont fait valoir une coutume qui interdirait une nomination en année électorale. Le choix du juge Kennedy avait pourtant été validé par le Sénat en 1988, quelques mois seulement avant l’élection à la Maison Blanche du vice-président George Bush ».
Le juge Anthony Kennedy a été nommé à la Cour suprême par Ronald Reagan le 11 novembre 1987, en remplacement du juge Lewis Powell, démissionnaire. Et c’est le 18 février 1988 qu’il a été confirmé par le Sénat. Ce n’est donc pas en 1988 qu’il a été nommé par le président Reagan, mais en 1987. Le journaliste Gilles Paris emploie les bons mots (« nomination », « validé »), tout en présentant la situation de manière erronée. Il faut d’ailleurs noter que cette nomination était la troisième tentative du président Reagan pour remplacer le juge Powell. Il avait d’abord nommé, le 1er juillet 1987, Robert Bork, qui avait été rejeté par le Sénat à majorité démocrate, comme trop conservateur, le 23 octobre 1987. Le 29 octobre 1987, le président Reagan nomma Douglas Ginsburg; lors du processus de confirmation, il est apparu que Ginsburg avait fumé du cannabis dans les années 60 et 70, lorsqu’il était étudiant et jeune professeur; de lui-même, Ginsburg se retira alors du processus de confirmation le 7 novembre 1987.
Dans un autre article2, le journaliste du Monde Martin Untersinger présente la position de certains républicains, qui estiment que la coutume des 80 dernières années interdirait au président Obama de désigner un juge à la Cour suprême en année électorale présidentielle. Il cite le président républicain de la commission judiciaire du Sénat, qui déclare que cette règle officieuse est « une pratique courante ces quatre-vingts dernières années ».
Juste après cette citation, le journaliste écrit: « En réalité, 14 juges de la Cour suprême ont été installés à leur poste lors d’une année électorale ».
Cette phrase est malhonnête pour deux raisons.
Première malhonnêteté: le journaliste ne prend pas la même période de temps que le sénateur républicain.
Relisons. Le sénateur républicain dit qu’aucun juge n’a été nommé à la Cour suprême en dernière année de mandat présidentiel ces 80 dernières années. Juste après, le journaliste écrit qu’en réalité, ce sont 14 juges qui ont été installés à la Cour suprême dans ces conditions. Il écrit donc que le sénateur républicain a tort de dire qu’aucun juge n’a été nommé à la Cour suprême en année présidentielle depuis 80 ans, parce qu’en réalité, 14 y ont été installés en année présidentielle; depuis donc 80 ans, ce n’est pas écrit formellement, mais c’est ce qu’en déduit logiquement et honnêtement le lecteur. Or, s’il y a bien eu une quinzaine de nomination en année présidentielle, ce n’est pas depuis 80 ans, mais depuis 1796! Depuis 80 ans, il n’y a pas eu 14 juges installés en période électorale, il y en a eu 2. Frank Murphy fut nommé à la Cour suprême le 4 janvier 1940 par le président démocrate Franklin Roosevelt, et confirmé par le Sénat le 16 janvier. Le juge Anthony Kennedy a été installé en 1988.
Seconde malhonnêteté: la confusion entre année de nomination et année d’installation. L’examen de la chronologie de la désignation du juge Kennedy a été présentée plus haut: le juge Kennedy a été installé en 1988, mais nommé en 1987.
Donc, si le journaliste avait voulu contester honnêtement les propos du sénateur républicain, il aurait dû dire qu’il est faux de dire qu’aucun juge à la Cour suprême n’a été nommé en période électorale présidentielle depuis 80 ans; et qu’en réalité, çà ne fait que 76 ans. Ce qui, bien sûr,aurait été nettement moins négatif pour le sénateur républicain, voire même serait passé pour un chipotage ridicule.
Pour terminer, je préciserai que le but de cet article n’est pas de soutenir la position républicaine, pas plus que la position démocrate. C’était juste de montrer comment le quotidien le Monde tordait la réalité pour la conformer, de manière « honnête », « neutre », « objective » et « professionnelle » bien sûr, à ses orientations idéologiques. D’ailleurs, je ne sais pas si le Monde connaissait la vérité, et l’a délibérément modifiée; ou si ses journalistes ne lisant que la presse de gauche américaine, se sont contentés de reproduire sa propagande. Peut-être un peu des deux d’ailleurs…. Çà dépend peut-être des journalistes…..
Pour terminer donc, je reprécise que je ne soutiens ni la position démocrate, ni la position républicaine. Je suis français, pas américain. Je ne suis pas suffisamment immergé dans leur tradition politique pour avoir une position tranchée sur ce point de détail.
D’autant plus que je suis persuadé, à tort ou à raison, que certains protagonistes, tant démocrates que républicains, sont plus motivés dans cette affaire par des considérations de tactique partisane, que par des convictions de philosophie politique bien ancrées. Autrement dit, si le président était républicain au lieu d’être démocrate, certains républicains, qui expliquent maintenant que la tradition politique américaine interdit au président Obama de nommer un juge cette année, démontreraient que la constitution américaine exige que le président républicain désigne immédiatement un nouveau juge. Et que certains démocrates, qui expliquent maintenant que rien ne s’oppose à la désignation d’un nouveau juge, expliqueraient alors que la tradition démocratique depuis la seconde guerre mondiale interdit de désigner un nouveau juge cette année. Et le quotidien le Monde nous expliquerait probablement que le président républicain, en voulant bafouer une tradition démocratique bien ancrée, démontre une fois de plus son mépris de la démocratie, et ses penchants autoritaires.
1- Gilles Paris: « Bataille politique pour un siège à la Cour suprême », dans le Monde du 16 février 2016.
2- Martin Untersinger: « Etats-Unis: la bataille politique autour de la Cour suprême a commencé », dans le Monde (site Internet) du 14 février 2016.