Bataille pour la cour suprême

 

Une promesse décisive de Donald Trump pendant la campagne présidentielle a été d’œuvrer en faveur du droit à la vie, en particulier en nommant des juges à la cour suprême favorables à ce droit. Respectera-t-il sa promesse ?

Il faut rappeler que les Etats-Unis n’ont pas voté une loi légalisant l’avortement. Si l’avortement est légal dans tous les Etats-Unis, c’est parce qu’en 1973, dans l’affaire Roe v. Wade (Roe contre Wade), la cour suprême établit l’avortement comme un droit constitutionnel dans tous les Etats-Unis.

Pour justifier sa décision, la cour suprême interpréta un peu bizarrement le 14ème amendement à la constitution américaine, ratifié en 1868, qui visait à garantir les droits des anciens esclaves. La cour estima qu’une partie de la section 1 de l’amendement (« Aucun État ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ») devait conduire à l’abrogation de toutes les lois des Etats interdisant ou restreignant l’avortement. Cette décision est contestée par les défenseurs de la vie, et par ceux qui estiment que la cour s’est beaucoup éloignée du texte de la constitution en promulguant cet arrêt. 2 des 9 juges de la cour, opposés à ce jugement, estimèrent alors que cet arrêt était « une application extravagante du pouvoir de contrôle des lois que la constitution accorde à la cour ».

Norma McCorvey, qui utilisa en 1973 le pseudonyme de Jane Roe pour contester la loi texane qui interdisait l’avortement, travailla ensuite dans un avortoir. Au milieu des années 90, elle comprit qu’elle tuait des bébés en travaillant dans une clinique d’avortement. Elle rejoignit alors le groupe anti-avortement « Operation Rescue ». Elle se convertit au protestantisme et se fit baptiser en 1995 ; elle entra dans l’Eglise catholique en 1998. Elle tenta de faire rejuger l’affaire Roe v. Wade, mais la cour suprême refusa en 2005.

La composition de la cour suprême la divisait grosso modo en 2015 en 4 membres plutôt « conservateurs » ou « originalistes », considérant que le texte de la constitution doit être appliqué en fonction du sens qu’il avait à l’origine, et non pas être excessivement interprété, 4 membres gauchistes, et 1 juge centriste penchant du côté des gauchistes. Après la mort du juge conservateur Antonin Scalia en février 2016, le président démocrate Barack Obama tenta de désigner un nouveau juge, mais les républicains s’y opposèrent, estimant que cette décision devait revenir au futur président1 ; le président Trump va donc devoir nommer un successeur à Scalia. De plus, le juge centriste a 80 ans, et deux des juges gauchistes ont un âge avancé (78 et 83 ans) ; sans trop se lancer dans des spéculations d’assez mauvais goût, il est quand même probable que Donald Trump aura de nouveaux juges à désigner. Il suffirait théoriquement du remplacement du juge Scalia et du remplacement d’un des juges âgés, décédé ou démissionnaire, pour faire basculer la cour dans le camp conservateur.

Mais un changement sur l’avortement aux Etats-Unis n’est pas encore gagné.

Il faudra d’abord que Donald Trump tienne sa promesse et nomme des juges pro-vie.

La nomination des juges doit ensuite passer devant le sénat ; les républicains y ont certes une majorité (52 contre 48). Mais les opposants aux nominations pourront éventuellement utiliser la technique du « filibuster », qui consiste à faire durer les débats de manière illimitée. Pour bloquer le filibuster, il faut 60 voix ; pas acquis d’avance, donc.

Enfin, si les juges renversent l’arrêt Roe v. Wade, çà ne signifiera sans doute pas que l’avortement sera interdit dans tous les Etats-Unis. Les juges constateront sans doute que la question de l’avortement n’est pas explicitement évoquée dans la constitution américaine, et il appartiendra alors aux 50 Etats de légiférer sur la question.

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1- Voir chronique du 21 février 2016 : « Le Monde et les républicains américains ».

 

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